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journal des écritures

critiques d'art et littérature, humanisme et résistance, poésie, chansons

Géométrie d'un rêve, Hubert Haddad, cousu main

Publié le 26 Avril 2010 par ruraledeprose in actualité lecture de l'auteur

Il est des ouvrages que l’on met du temps à lire exprès, par pudeur et plaisir. Géométrie d’un rêve pour exemple. Il ne faut pas se hâter avec la beauté, la belle écriture. On a beau savoir ce qu’il advient de Fedora ou l’imaginer, et de son amoureux un peu transi ou déconfi, on attend chaque fragment, oscillant entre cet amour impossible, le vent, le temps qui aura passé trop vite sur les épaules de l’auteur et de nous-mêmes. Mais cela nous arrive aussi et le roman nous renvoie au miroir de notre propre périple d’existence comme un réalisme éperdu ou la quête dérisoire d’un sursaut, pour peu qu’il soit dérisoire. «Last chance for love», le film. Je me laisse rarement faire par des films simplets à l’eau de rose –et surtout américains- mais j’ai revisité ce film avec Fedora. Pardon à l’auteur. Il y a ce bord de mer du Finistère, sa magie, l’histoire des maisons, de vies tragiques, le quotidien qui apporte son poisson, manne fraîche et frêle, au petit bonheur la pêche. C’est un bon livre plein d’embruns, de tempêtes, d’amour. Haddad écrit au point d’Alençon, une dentelle de mots et de sentiments. Il nous parle des «vertus conjuguées de la fable et de la métaphore» et, la géométrie des êtres et des choses devient une alchimie mémorielle, une réalité crue, une clef du songe. Elzaïde est présente et ses mentors aux cénotaphes. C’est que l’on est aussi ce que les autres vous ont donné. Emily, dans ce capharnaum poétique, ouvre les fenêtres, l’air circule. «Ecrire, c’est bien se découvrir. Chacun à sa manière. L’exhibitionniste et le voyeur, le sensitif atteint d’un délire de relation et l’orgueileux muré dans ses fantasmes, chacun trahit un mode spécifique d’aveu à travers les ruses du style et du tempérament. Mais la barbarie simple de la créature finit par sauter aux yeux». Ecrire ne peut être qu’aimer à l’usure des mots. «Je n’aurais donc été, sous la fable des mots, qu’un amoureux sans recours accroché à une image de l’au-delà». Mais, il y a toujours quelqu’un, quelqu’une qui vous tire par la manche. Il est des musiques qui vous clouent dans la réalité. Au détour du récit, Valéry apparaît et d’autres, quelques phrases, -des phrasées- dans l’écheveau d’écrire. «A chaque fois que je prends la pluie, je repense à l’inconnue du canale Saint-Martin : nous ne faisons rien d’autre, écrivant, que de vider les étangs de la mémoire dans l’espoir de la mettre de mettre à nu un destin perdu». Puis l’auteur reprend sa promenade le long des récifs de l’anse d’Arr-Grill. Et Fedora lui échappe toujours, «il faudrait mourir après l’amour quand on aime, comme les araignées et les insectes volants, laisser la femelle avec sa semence dans la nuit d’un autre monde».  De fil en fil, l’écheveau prend figure, Lavinia l’attend à Fortbrune où la Wehrmacht s’était repliée jadis. Ce va et vient de la mémoire vécue ou connue exaspère le récit, donne cet aspect de décousure, de brisure qui porte le nom d’éventaire involontaire perforé ici et là de rimes de poètes anglais. Par bonheur, reste l’océan, «une résurrection de chaque instant après l’inhumation des songes». La neige ensuite sur Ker-Lann et la pointe d’Ar-Grill. Et l’auteur de se livrer : «Ma vie bousculée ne ressemble à aucune et j’écris des histoires qui parlent d’un autre monde». Et ce monde nous trouble de confrèrie, de solitude, d’espoir défait, d’amour défunt. On ferme le livre plein de chimères, de doute, de beauté passante. Le poète-auteur a regagné son poste, là-haut dans une chambre de veille.

 

PPS

 

Géométrie d’un rêve, Zulma éditeur.

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